Des ténèbres à la
lumièreÂ
Bois-d’Arcy
Le 10 septembre 1996, je me trouvais
dans la prison de Bois-d’Arcy, dans la cellule 229. Je tournais comme un lion
en cage, et je me demandais comment j’en étais arrivé là . Ma vie s’était
écroulée peu de temps avant, quand j’avais été arrêté, conduit devant Madame le
Juge, qui m’avait inculpé de plusieurs vols à main armée et annoncé que ce
genre d’affaires menait droit à 20 ans de réclusion. 20 ans ! et notre
entretien n’avait duré qu’une demi-heure ! Qu’allaient devenir mes deux garçons
d’un et trois ans, ma femme qui attendait un troisième bébé ? Si quelqu’un
m’avait annoncé alors que mon incarcération ne durerait que sept mois, je
l’aurais sĂ»rement pris pour un fou!Â
Enfant battu, adolescent rebelleÂ
Mon père, arrivé de Côte d’Ivoire sans diplôme ni ressources financières,
avait connu une certaine réussite en France. Il eut une relation éphémère avec
ma mère, et celle-ci ne tarda pas à se désintéresser de moi. Abandonné par elle
à l’âge de trois ans, j’ai vécu pendant une année au sein d’une famille
d’accueil de la DASS. Un peu plus tard, mon père, peut-être pris de remords,
décida de me récupérer et me présenta à Mireille, sa concubine, avec laquelle
il avait déjà deux enfants.
Noctambule et flambeur, il possédait une boutique de
prêt-à -porter, plutôt florissante, mais il confondait fâcheusement
recettes et bénéfices. Au cours de soirées arrosées de champagne et nimbées de
fumée de cigares, il prodiguait des chèques en blanc, conduite excessive qui
eut malheureusement des conséquences terribles sur les finances de la famille.
Pourchassé par ses créanciers, il dut très vite plier bagage et prendre la
fuite pour la Côte d’Ivoire en m’abandonnant chez Mireille, tel un souvenir de
son infidélité.
Les années qui suivirent se révélèrent très douloureuses
pour moi, tant sur le plan moral que physique. Mireille, brisée par l’amertume
et la haine vis-à -vis de ce que je représentais, avait pris pour habitude de me
battre. C’est à coup de poings et de paroles destructrices qu’elle me fit
comprendre que je n’avais pas ma place au sein de la famille. Ne pouvant me
renvoyer Ă la DASS, elle fit de moi son esclave, son homme Ă tout faire. Le
plus triste dans tout cela, c’est qu’à mes yeux d’enfant, elle était néanmoins
ma mère.
Nous étions pauvres et manquions de tout à la maison : électricité,
nourriture, vêtements et les services sociaux devaient régulièrement nous venir
en aide.
Faute de moyens, nous habitions dans les banlieues les
plus difficiles de la région parisienne et j’ai donc grandi dans un climat de
violence permanente, que ce soit à la maison ou à l’extérieur.
Au fil des années, je me suis endurci et rebellé contre
toute forme d’autorité et cette démarche chaotique me fera connaître la prison
dès l’âge de 15 ans. Mais dans la cité où j’habitais, aller en prison était, aux
yeux de certains, un privilège, un motif de respect. Cela signifiait non que
l’on Ă©tait un individu dangereux, mais au contraire qu’on Ă©tait un vrai homme.Â
Fructueuses "affaires" !
Les dix années qui suivirent furent pour moi une
véritable descente aux enfers. Pourtant, ne connaissant qu’un seul chemin, « le
chemin spacieux qui mène à la perdition » (Matthieu, chapitre 7, verset 13),
j’avais l’impression, quand je m’y engageais résolument, que ce chemin me
permettait de me procurer ce que je désirais : l’argent, le succès, le
prestige. Ce n’était pas une descente, pensais-je, mais une ascension.
Adolescent débrouillard, j’étais un leader, un meneur
d’hommes, et les autres commençaient à m’admirer. Je constituai d’abord une
petite bande qui agressait et dĂ©troussait les gens, et nous arrivions ainsi Ă
gagner des sommes rondelettes. Très vite je découvris combien la drogue pouvait
être lucrative : simple dealer d’abord, et gagnant ainsi largement ma vie, je
ne pouvais me satisfaire de si peu.
Il me fallait de gros bénéfices, et je pris exemple sur
les grossistes, devenant très vite moi-même un trafiquant de haut vol. Un haut
vol à ras de terre, et dangereux ! Certes je m’étais fait une place dans le
quartier, je contrĂ´lais un important territoire.
La police semblait se tenir Ă distance. Voitures
décapotables, restaurants et boîtes de nuit branchées, cigares, champagne,
vacances, je ne me refusais plus rien.
Toutefois j’avais quelques soucis : mon demi-frère
Franck ne sortait de prison que le temps de céder à son penchant pour l’alcool
et les bagarres, et d’y retourner aussitôt ; moi aussi, j’étais devenu un
familier de l’alcoolisme, sans en être encore l’esclave ; un autre « ami »
commençait à « me vouloir du bien », l’extasie. En revanche j’ignorais que la
police, dans l’ombre, était en train de préparer un gros coup de filet auquel,
normalement, je ne pouvais pas Ă©chapper.Â
Manu, un rayon de soleil
Dealer, alcoolique, drogué, sur le point de gravir un
échelon supplémentaire en devenant un braqueur, j’ai rencontré Manu en pleine
période de Noël, et ce fut instantanément le coup de foudre. Elle ne tarda pas
à tomber amoureuse à son tour. Je ne lui cachai pas la nature risquée de mes
activités, sans entrer dans aucun détail.
Elle les désapprouvait et souhaitait me voir changer de
comportement. D’où de fréquentes dissensions entre nous. Malgré tout l’amour
que j’avais pour elle, et les enfants qui naissaient de notre liaison
passionnée, je préférais le « chemin spacieux » dans lequel j’étais entré à son
amour. Je rĂŞvais de quitter mon environnement pour couler des jours tranquilles
avec elle aux CaraĂŻbes.
Nos disputes se soldaient par des ruptures, suivies de
retrouvailles. Mais le désaccord persistait, nous menions des vies parallèles.
Elle me mit au pied du mur, mais j’étais incapable de la préférer à mes chères
affaires, et je l’obligeai à rompre avec moi.
Dès lors, j’allai toujours plus loin dans la violence.
En prenant leur argent à des consommateurs de drogue je reçus un coup de
couteau. Je croyais que c’était sans gravité, mais si un médecin n’avait décelé
une hémorragie interne nécessitant une opération immédiate,
j’étais bon pour le cimetière. Pourtant, aux portes de
la mort, j’entendis une voix me dire une parole rassurante. Franck, Mireille,
Manu vinrent me voir. Au sortir de la clinique, très affaibli, je m’installai
chez Manu, près de ma compagne et de mes enfants. Elle allait dans une église,
et il m’arrivait de l’accompagner. Toutefois je ne comprenais pas pourquoi elle
me parlait sans cesse de Jésus, et les prières que l’on faisait pour moi me
laissaient indifférent.
Vers une nouvelle vieÂ
Dès que j’ai pu je me suis procuré une voiture et ai
repris mes sorties nocturnes. Je ne voulais pas de la nouvelle vie, ni du «
chemin resserré » vers lesquels Manu cherchait à m’entraîner, et tandis que
l’alcool et l’argent, mes vieux « amis », recommençaient à envahir mon cœur,
les disputes devenaient de plus en plus violentes.
J’entendais bien qu’elle m’obéisse, et elle résistait,
armée de sa bible. Dans mon endurcissement, j’étais prêt à détruire ma famille,
sans même m’en rendre compte. Elle avait beau me répéter : « Jésus t’aime »,
ces mots ne signifiaient rien pour moi. Décidé à réaliser mon rêve, le départ
pour les Caraïbes, j’avais besoin d’argent et je me lançai dans des braquages.
Et c’est ainsi qu’en juillet 1996 la brigade du grand banditisme m’attendait
chez Manu.
Ce fut alors la vie monotone et affreusement frustrante
de la prison, dans l’attente du jugement qui ne pouvait qu’aboutir à une très
lourde condamnation. Mais un miracle avant-coureur eut lieu : Manu, la femme
que j’avais fait tomber avec moi, celle que j’avais mise à la dernière place,
vint me voir au parloir.
Elle avait décidé de me soutenir et de m’accompagner,
malgré tout le mal que je lui avais fait. Ses visites me faisaient énormément
de bien, et elle me disait que Dieu allait me libérer.
J’avais peine à la croire, mais peu à peu j’ai commencé
à écouter ce qu’elle me disait. Après un long et difficile cheminement, j’ai
fini par céder, je me suis repenti, et j’ai accepté Jésus comme mon Seigneur et
mon Sauveur. Aussitôt une paix étonnante est entrée en moi.
Quelque temps plus tard j’ai compris que Jésus m’avait
pardonné tous mes péchés à la Croix. Tout en menant ma vie douloureuse de
prisonnier, je lisais la Bible et les Ă©vangiles, et je demandais au Seigneur de
me libérer de cette vie en prison qui ne me convenait pas.
Le 17 février 1997 on m’annonçait que la juge avait
ordonné ma libération en attendant le jugement. Pendant mon retour en cellule
je glorifiais Dieu à pleine voix dans les couloirs. Ma détention n’avait duré
que 7 mois, malgré la gravité des accusations ! Grâce à cette décision je pus
ĂŞtre prĂ©sent aux cĂ´tĂ©s de Manu pour la naissance de notre troisième enfant.Â
PĂ©cheur pardonnĂ© et pasteurÂ
Il me restait Ă affronter la redoutable Ă©preuve de mon
jugement, au cours duquel je ne cherchai pas Ă contester les accusations qui
pesaient sur moi.
Le 7 décembre 1998 un second miracle eut lieu : je fus
condamné seulement à trois ans de prison avec sursis. Mon retour en prison
n’avait pas duré 24 heures, j’étais définitivement libre ! Hélas, il n’en fut
pas ainsi pour mon demi-frère Franck, qui quelque temps plus tard périt à l’âge
de 30 ans sauvagement assassiné dans un restaurant.
Je ne pouvais plus m’illusionner sur le chemin à suivre,
et je commençai à répandre autour de moi la Bonne Nouvelle que j’avais vécue.
J’eus la joie de voir mon père, quelques mois avant son départ pour le Ciel, se
détourner de la vie sans but qui avait été la sienne, et accepter à son tour
JĂ©sus pour son Seigneur.
Toutefois le diable avait encore une arme en réserve
pour essayer de me faire chuter : l’alcool. Le lien qui m’enserrait était
terriblement fort, et le face Ă face fut dramatique, insoutenable. Le diable me
faisait croire que tout était fini ! Mais dans un songe l’Esprit de Dieu me
montra qu’Il m’aimait, qu’il m’appelait, et qu’Il me délivrait de l’alcool.
Quand je fus éveillé, mes larmes de joie coulèrent, et tout mon être fut rempli
de l’Esprit.
Dès lors, Dieu allait bouleverser ma vie, mes projets et
me donner la force de vivre une vie entièrement à son service, en compagnie de
celle qui m’avait été si fidèle.
Il fit naître en moi un vif désir de Le servir et de
témoigner de tous Ses bienfaits à mon égard, ce que je me suis empressé de
faire chaque jour et notamment au sein des quartiers sensibles. Cinq années
plus tard, à force de constance, j’ai pu accéder au ministère pastoral, pour le
plus grand bonheur de Manu et de nos quatre enfants.
Ă€ Lui toute la gloire !
Extrait du livre de Yannis Gautier : « 52964 Des
ténèbres à la lumière » .
Témoignage paru dans le numéro 2 de 2009 de la revue
Voix Ă©ditĂ©e par ChrĂ©tiens TĂ©moins dans le Monde.Â
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